Une prévention au plus près du terrain chez CTB Bérenger-Barq
Confrontée à des relations sociales dégradées, CTB Bérenger-Barq a expérimenté la démarche Adapt pour améliorer la sécurité.
Date de mise à jour : 28 avr. 2025 - Auteur : Thierry Beaurepère
- Une démarche de prévention collective, au plus près des besoins.
Des investissements réguliers pour limiter les risques de TMS.
Reportage paru dans PréventionBTP n°294-Avril 2025-p. 24
Photo : 294 Entreprise du mois CTB Béranger Barq Ouverture
Crédit photo : Frédéric Vielcanet

Jérôme Barq a parcouru des chemins parfois sinueux durant son Tour de France, lorsqu’il était Compagnon du Devoir. Il les découvre désormais au sens figuré, chez CTB Bérenger-Barq. Créée en 1936, l’entreprise s’est imposée au fil des décennies dans le paysage dieppois. Après y avoir travaillé en tant que conducteur de travaux, cet « artisan » de la maçonnerie l’a rachetée en 2018, avec un positionnement porteur d’avenir : « Des rénovations en centre-ville, des chantiers atypiques… bref, des travaux que, souvent, les autres ne veulent pas faire, mais qui garantissent une activité sur le long terme », explique le patron. Il cible plus particulièrement les chantiers situés à 25 kilomètres autour de Dieppe, par « bon sens » : moins de temps de transport et donc moins de pollution, des horaires fixes (avec départ et retour au bureau) pour garantir un juste équilibre de vie aux compagnons, travaillant 35 heures sur quatre jours.
Travailler en sécurité pour mieux produire
Avec CTB Bérenger-Barq, la feuille de route est claire : continuer à faire ce métier avec passion, mais en mieux ! Comprenez : investir en matériels pour gagner en productivité, tout en améliorant la prévention. Encore faut-il qu’il entraîne les quelques salariés dans son projet, une tâche plus complexe qu’imaginée. Beaucoup sont en fin de carrière avec une culture du travail à l’ancienne, des relations sociales dégradées, et les résistances au changement sont importantes. En particulier sur le sujet de la sécurité, avec une approche fataliste pour nombre de compagnons et des règles perçues comme autant de contraintes. En six années, Jérôme Barq va d’abord investir 250 000 euros pour améliorer les conditions de travail et diminuer les risques de troubles musculo-squelettiques (TMS) : outillages, parc d’échafaudages, roulottes de chantier, mini-pelle, chariot-élévateur, convoyeurs à bandes pour l’évacuation des gravats ou encore malaxeur à béton…
Entre prévention et cohésion
Pour autant, ces investissements ne suffisent pas à modifier les mentalités en profondeur. La solution passe alors par le recours à la méthode Adapt-BTP (aide à la démarche d’amélioration des postes de travail) de l’OPPBTP*. Elle propose une approche différente de la prévention des TMS à travers une participation collective afin que chacun devienne acteur de la sécurité. Et permet de faire émerger des solutions de terrain pour mieux adapter les postes de travail. Deux formations Adapt-BTP, en 2022 puis en 2023, ont ainsi permis à CTB Bérenger-Barq d’engager plusieurs actions tangibles, autour d’une devise désormais affichée à l’entrée de l’entreprise : fiabilité, fidélité, respect, performance. Certaines relèvent de la cohésion d’équipe, comme un barbecue réunissant le patron et les salariés. D’autres ont permis d’améliorer la prévention, par exemple l’obligation de rédiger un rapport journalier qui ne prend que cinq minutes (inclus dans le temps de travail), la réorganisation de la cour et de l’atelier en mode participatif, des formations CACES®… Des investissements ont également été actés : achat de nouveaux matériels pour diminuer les manutentions, les expositions aux bruits et aux poussières (protections auditives, masques respiratoires à ventilation assistée), encouragement au port des EPI (contrat avec un magasin où les compagnons peuvent librement se fournir) et à l’hygiène. Par exemple, un prestataire prend désormais en charge le lavage des vêtements de travail. « C’est un budget de 6 000 euros par an, mais qui participe à la bonne image de l’entreprise », précise Jérôme Barq.
Une communication améliorée
« Les efforts sont visibles, avec une meilleure ambiance, des conditions de travail améliorées avec davantage de matériels. La difficulté est d’entraîner tout le monde », reconnaît Willy Vallois, un maçon qui a rejoint CTB Bérenger-Barq il y a cinq ans. En complément, une apprentie en communication a rajeuni le livret de sécurité, qui permet de sensibiliser les salariés aux meilleures pratiques pour prévenir les accidents, de la conduite des véhicules à l’utilisation des échafaudages. Il est désormais relayé par des tutoriels (sur l’entretien des véhicules, l’utilisation d’une mini-pelle…) accessibles via des QR codes collés sur les volants. Autant d’actions qui continuent à améliorer la sécurité. « Car il ne faut pas se relâcher. La prévention est un travail de longue haleine », conclut Jérôme Barq, qui prépare une troisième démarche Adapt en 2025.
*La démarche Adapt-BTP peut désormais être prise en charge dans le cadre du Fonds d’investissement pour la prévention de l’usure professionnelle (Fipu).
Pour Jérôme Barq, les quelques milliers d’euros que coûte la démarche Adapt sont largement rentabilisés. Il la perçoit comme un investissement, qui contribue à développer une culture de la prévention en phase avec les attentes des compagnons, permet d’améliorer la communication interne, l’image extérieure de l’entreprise et de gagner en productivité. « Les deux vont de pair : si on ne travaille pas en sécurité, on produit mal. »
Focus sur une action
La démarche de l’OPPBTP s’appuie sur la participation des compagnons pour imaginer des pistes d’amélioration face aux risques de TMS.
Pour sensibiliser les compagnons et les rendre acteurs de leur sécurité, Jérôme Barq est devenu un adepte de la démarche Adapt, qu’il a déjà mise en œuvre deux fois. Il détaille son principe et ses avantages.
Pourquoi avez-vous lancé une démarche Adapt-BTP ?
C’est à l’occasion d’une formation à l’École supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment que j’ai découvert la démarche Adapt proposée par l’OPPBTP. Nous avions beaucoup à faire. Les compagnons n’étaient pas du tout sensibilisés à la prévention, et j’étais confronté à des difficultés relationnelles… Il fallait un regard extérieur pour avancer. Cette méthode m’est apparue judicieuse pour aborder la sécurité de manière globale et inclusive, en impliquant tout le monde.
Comment s’est-elle déroulée ?
Après la visite de plusieurs chantiers par le préventeur de l’OPPBTP, la démarche s’est appuyée sur une restitution d’expériences à travers des photos, vidéos… Une formation de deux jours a ensuite permis d’analyser les situations de travail, d’échanger et imaginer ensemble de nouvelles méthodes et actions. Certains compagnons ont joué le jeu avec un état d’esprit constructif, les plus réfractaires ont fini par suivre le mouvement. Certaines mesures actées sont simples à mettre en place, d’autres nécessitent des investissements, avec un suivi par le conseiller en prévention.
Quel est le bilan ?
Nous partions de loin, et je n’avais rien à perdre. C’est une approche intelligente, qui dépasse l’aspect réglementaire pour mieux évoquer les problématiques de terrain, avec un travail concret sur l’état d’esprit, le savoir-être et des résultats encourageants. Nous avons pu renouer le dialogue et mettre en place diverses actions en matière de prévention. Je ressens une nouvelle motivation, même si la dynamique reste fragile et requiert un travail constant.
Il fallait un regard extérieur pour avancer.
Jérôme Barq, gérant
Originaire de Dieppe, Jérôme Barq (42 ans) est un homme de passions. Après quinze ans en tant que maçon, dont une petite dizaine pour les Compagnons du Devoir, il est revenu dans sa ville natale en 2012, pour travailler chez CTB Bérenger avant de racheter l’entreprise en 2018. Administrateur de la Capeb départementale, il défend avec ardeur son métier tout en œuvrant au développement de sa société, passée de six à dix salariés.
Photo : 294 Entreprise du mois CTB Béranger - homme clé
Crédit photo : Frédéric Vielcanet

« J’ai rencontré Jérôme Barq dans le cadre de la mise en place du document unique puis pour quelques conseils ponctuels et visites de chantier afin de mieux connaître l’entreprise et ses besoins », précise Pierre Solano, conseiller en prévention à l’OPPBTP.« La cohésion sociale constituait un sujet de préoccupation et il semblait pertinent de déployer une politique de prévention participative impliquant l’ensemble des compagnons pour changer les perceptions et croyances. La démarche Adapt est apparue comme la plus adéquate. »« J’ai assuré l’aspect préparatoire, avec six à sept visites de chantier, et la formation a été dispensée par Christophe Labbé, autre conseiller prévention et formateur Adapt. Depuis la définition des objectifs jusqu’àla mise en place d’un plan d’action, il s’est écoulé presque une année. »